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Nayunbae: Cheveux et identité : la réconciliation avec soi-même

Type de projet

Nos cheveux, nos choix, notre liberté.

Date

Jeudi 20 Mars 2025

Description

Un regard approfondi sur le métissage capillaire, révélant que la texture des cheveux n’est ni une question de couleur, ni un marqueur de valeur, mais une simple expression de la diversité humaine et de nos choix esthétiques.

Cheveux et identité : la réconciliation avec soi-même

Introduction

Le métissage désigne le croisement de populations ou d’origines différentes, qu’il s’agisse de caractéristiques physiques, culturelles ou géographiques. Contrairement à une idée reçue, le métissage ne se limite pas à la couleur de peau ou à l’union de deux groupes très distincts : c’est un phénomène ancien et universel ancré dans l’histoire de l’humanité. En effet, « tous les êtres humains sont le produit d'un mélange génétique de même nature », rappellent les scientifiques​ .

Depuis la préhistoire, l’homo sapiens lui-même s’est continuellement mélangé à d’autres populations rencontrées au gré des migrations. Par exemple, durant la préhistoire, Homo sapiens parti d’Afrique a croisé en Europe son cousin Néandertal : on a ainsi découvert que les Européens modernes possèdent en moyenne encore 3 % de gènes néandertaliens, preuve qu’un tel métissage a bien eu lieu​.

Plus récemment, à l’époque historique, les grandes rencontres entre continents ont également multiplié les brassages : en Amérique, la population indigène a été profondément métissée par l’arrivée de colons européens puis par la traite d’esclaves africains, générant une riche diversité « qui continue de se mélanger et crée la diversité du continent »​.

Ainsi, le métissage est un processus continu qui façonne l’espèce humaine depuis ses origines. Il ne produit pas une humanité uniforme, bien au contraire : il est source de diversité biologique. Surtout, il ne concerne pas seulement les traits visibles extrêmes. Une grande partie du métissage est « plus discrète, presque invisible », car il s’opère au niveau génétique​.

Les différences apparentes de couleur de peau, de forme des yeux ou de texture de cheveux entre, par exemple, un Européen, un Africain ou un Asiatique, ne sont en réalité que l’expression variée de gènes que tous les humains ont en commun​.


En d’autres termes, l’humanité partage un même patrimoine génétique modulé par des variations graduelles, sans frontières nettes : les phénotypes (apparences physiques) ne doivent pas être vus comme des catégories étanches opposant les groupes humains.

D’un point de vue historique, le métissage a souvent été interprété à travers le prisme de la « race » ou de la couleur de peau, surtout à partir de l’ère coloniale qui a classé les individus selon des critères physiques. Pourtant, réduire le métissage à la seule pigmentation cutanée est simpliste. Il s’agit avant tout de la rencontre et de la fusion entre patrimoines génétiques et cultures. Des populations aujourd’hui perçues comme homogènes sont en réalité le produit de métissages anciens.

Par exemple, une grande partie des Européens sont un mélange d’héritages celtes, germains, méditerranéens, etc., tout comme les populations des Caraïbes résultent d’ascendances africaine, européenne et amérindienne entremêlées. Autrement dit, nous sommes tous métis à des degrés divers. Le métissage dépasse la question de la couleur de peau : c’est un état de fait universel de l’espèce humaine. Dans ce rapport, nous explorons une manifestation particulière de cette universalité du métissage à travers un élément souvent chargé de connotations identitaires : les cheveux. En effet, la texture capillaire (cheveux lisses, ondulés, crépus, etc.) a été historiquement l’un des marqueurs physiques utilisés pour distinguer les groupes humains, parfois même pour les hiérarchiser.
Pourtant, nous verrons que la diversité des cheveux est elle aussi transversale aux continents et aux peuples. D’une part, les pratiques visant à modifier l’apparence des cheveux – notamment le défrisage ou lissage consistant à raidir les cheveux bouclés ou crépus – se retrouvent chez des populations variées en Caraïbe, en Europe comme en Asie. D’autre part, les différences capillaires elles-mêmes s’expliquent scientifiquement par des paramètres biologiques (forme du follicule pileux, structure de la fibre) et non par l’appartenance ethnique ou culturelle.

Dans cette enquête, nous montrerons que le métissage et la quête de normes esthétiques capillaires sont des phénomènes globaux, et qu’il n’existe pas de « cheveu supérieur » intrinsèquement lié à une couleur de peau.


Le défrisage, une pratique universelle

Le défrisage désigne l’ensemble des techniques de lissage permanent qui visent à rendre un cheveu frisé ou crépu plus raide, qu’il s’agisse de méthodes chimiques ou thermiques.

Dans l’imaginaire collectif, cette pratique est souvent associée aux personnes noires à la chevelure afro, tant elle a marqué l’histoire des populations afro-descendantes.

Or, s’il est vrai que le défrisage a joué un rôle majeur dans les communautés africaines et caribéennes (nous y reviendrons), il est important de souligner qu’il n’est pas l’apanage des Noirs.

L’usage de produits ou procédés pour lisser les cheveux s’observe sous diverses formes sur plusieurs continents, indépendamment de l’origine ethnique. D’ailleurs, même l’industrie cosmétique définit le « défrisage » de manière englobante, comme couvrant le lissage de cheveux caucasiens, asiatiques, nord-africains ou africains.

Autrement dit, toute chevelure présentant des ondulations ou des frisures susceptibles d’être détendues peut faire l’objet d’un défrisage, que la personne soit d’ascendance européenne, asiatique, moyen-orientale ou africaine.

Historiquement, les premières traces de techniques pour raidir les cheveux remontent à l’Antiquité. Dès l’Égypte ancienne, des recettes à base de substances alcalines étaient utilisées par les femmes pour détendre les boucles et obtenir une chevelure plus lisse​.

Ce savoir-faire s’est diffusé ensuite dans d’autres régions du monde, notamment en Europe et en Asie, souvent associé à des signes extérieurs de statut social ou de beauté​.


Durant l’époque gréco-romaine puis au Moyen Âge européen, on dispose de témoignages de méthodes artisanales (huiles, beurres, fers chauffés) servant à assouplir ou aplatir les cheveux rebelles, en particulier chez les classes aisées soucieuses d’afficher des coiffures conformes à la mode. Plus tard, à l’ère moderne, l’invention du fer à friser puis des premiers produits chimiques de défrisage au début du vingtième siècle a progressivement permis à un plus grand nombre de personnes de modifier radicalement la texture de leurs cheveux.

Par exemple, aux États-Unis, la pionnière Madame C.J. Walker popularisa dès les années 1900 un système de peigne chauffant pour lisser les cheveux crépus, prélude aux crèmes défrisantes qui apparaîtront par la suite. Dans la Caraïbe, héritière d’une histoire de colonisation et d’esclavage, le défrisage des cheveux crépus a longtemps été extrêmement répandu. Des générations de femmes (et d’hommes, dans une moindre mesure) d’ascendance africaine aux Antilles, en Amérique latine ou aux États-Unis ont adopté le cheveu défrisé comme norme quasi obligatoire tout au long du vingtième siècle. Cette pratique, apprise dès l’enfance, visait à obtenir des “cheveux bons” ou “cheveux doux” – expressions courantes aux Antilles et en Amérique latine – par opposition aux “cheveux mauvais” trop crépus.

Le but recherché était souvent d’émuler la chevelure lisse des populations européennes, perçue historiquement comme plus désirable. Ce phénomène s’explique par l’intériorisation de normes esthétiques héritées de la période coloniale : sous l’influence de l’idéologie coloniale puis des standards occidentaux, « les cheveux lisses ont ainsi été considérés comme plus “civilisés” et conformes aux standards de beauté eurocentrés, tandis que les cheveux crépus étaient souvent dévalorisés et perçus comme “non professionnels” ».

Autrement dit, dans ces sociétés post-esclavagistes, lisser ses cheveux revenait à s’approprier les attributs de la classe dominante (cheveux raides synonymes de raffinement et de réussite sociale) et à s’éloigner des stigmates attachés aux traits africains. Il n’est donc pas surprenant qu’au fil du temps, le défrisage soit devenu une pratique quasi universelle chez les Afro-Caribéens, de Port-au-Prince à Kingston en passant par New York.

En Europe, le lissage capillaire a également une longue histoire, bien que la situation diffère du fait de la composition majoritairement caucasienne de la population. Nombre d’Européennes aux cheveux naturellement ondulés ou frisottants ont, à travers les époques, recouru à diverses méthodes pour discipliner leur chevelure. Dès le XIX^e siècle, les fers à lisser rudimentaires étaient utilisés dans les salons bourgeois pour obtenir des coiffures lisses et brillantes prisées à l’époque victorienne.
Au vingtième siècle, parallèlement à l’essor des « permanentes » pour friser artificiellement les cheveux raides, se sont développées des lotions et techniques pour défriser les cheveux bouclés de type caucasien. Contrairement aux idées reçues, l’envie de dompter des cheveux jugés indisciplinés ne concernait pas que les femmes noires. Par exemple, dans les années 1920-1930, certaines femmes européennes à la chevelure très frisée utilisaient des pommades chimiques (contenant parfois de la soude caustique, comme pour les cheveux afro) pour les assouplir.

De nos jours, l’Europe a vu se populariser des méthodes de lissage sophistiquées d’origine extra-européenne, adoptées par un large public quel que soit son profil ethnique. C’est le cas notamment du lissage brésilien, un traitement à base de kératine venu d’Amérique du Sud, et du lissage japonais venu d’Asie.

Ces procédés, apparus dans les années 2000, ont conquis les salons occidentaux. Ils ciblent toutes les personnes aux cheveux difficiles à lisser – qu’ils soient de nature afro, méditerranéenne ou simplement très bouclés caucasiens – et promettent une chevelure souple, sans frisottis, pendant plusieurs mois. On a même vu apparaître en France des offres grand public en supermarché pour réaliser soi-même son lissage longue durée.

Un site promotionnel lancé par une grande chaîne de coiffure vendait par exemple des kits de lissage brésilien et japonais sous le slogan évocateur “J’arrête de boucler”, mettant en scène des jeunes femmes aux cheveux bouclés se plaignant des inconvénients de leur texture naturelle​. Cette anecdote illustre à quel point le désir de cheveux raides a été normalisé bien au-delà de la seule communauté noire : en Europe, posséder une chevelure lisse et « disciplinée » reste un idéal de beauté et de praticité recherché par de nombreuses personnes, toutes origines confondues.

En Asie, la situation capillaire présente un double visage. D’un côté, une grande partie des populations d’Asie de l’Est (Chine, Japon, Corée) ont génétiquement des cheveux naturellement raides et épais, si bien que la question du défrisage ne s’y posait historiquement pas avec la même acuité qu’ailleurs. D’un autre côté, l’Asie a également connu ses propres tendances de transformation capillaire, et a même été à l’avant-garde de techniques de lissage innovantes.
Le lissage japonais mentionné plus haut a justement été mis au point dans les années 1990 par une coiffeuse japonaise renommée, Yuko Yamashita. Cette méthode (appelée Yuko System) utilise un procédé chimique pour briser puis recréer différemment les liaisons internes du cheveu, afin de le rendre définitivement droit.
Plébiscité pour ses résultats spectaculaires, il a été comparé à une véritable « chirurgie esthétique capillaire » tant « la chevelure en sort complètement transformée » tout en conservant sa souplesse et sa brillance​.
Né au Japon, ce procédé a rapidement été exporté dans toute l’Asie et dans le reste du monde pour satisfaire une demande universelle de cheveux ultra-lisses. Par ailleurs, dans d’autres régions d’Asie où les cheveux peuvent être plus ondulés (par exemple en Asie du Sud, au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est), des pratiques de lissage traditionnelles existaient de longue date – usage de peignes chauffés, de lourdes huiles ou de plantes lissantes – bien avant l’adoption de méthodes chimiques modernes.

Cela témoigne une fois de plus que le souci de modifier la texture de ses cheveux n’a pas de frontière culturelle. Qu’il s’agisse d’une Antillaise utilisant un défrisant à base de soude, d’une Européenne faisant un brushing quotidien ou d’une Asiatique optant pour un lissage thermique, le geste traduit une même démarche universelle d’adaptation de son apparence capillaire aux canons esthétiques ou pratiques en vigueur.


La structure scientifique du cheveu

Après avoir constaté que les pratiques de lissage capillaire transcendent les origines, il convient de se pencher sur les fondements scientifiques des différences de texture de cheveux.

Qu’est-ce qui fait qu’un cheveu pousse raide, ondulé ou crépu ?

La réponse réside dans la structure capillaire elle-même, notamment la forme du follicule pileux d’où naît le cheveu et la répartition de la matière dans la fibre capillaire. Autrement dit, la nature du cheveu est déterminée par des facteurs biologiques (génétiques, anatomiques) et non par la culture ou la “race”.

Chaque cheveu humain est produit au niveau de la peau par un organe appelé follicule pileux. La forme de ce follicule – son « ouverture de pore » et son orientation dans le cuir chevelu – va largement influencer la forme du cheveu qui en sort​.

De façon schématique, on distingue trois configurations principales: follicule rond et droit, follicule ovale, ou follicule elliptique et incliné.

Un follicule pileux de section quasiment ronde, implanté bien perpendiculairement à la surface de la tête, produira un cheveu à section circulaire, donc parfaitement lisse et droit​.

Au contraire, un follicule légèrement ovale ou incurvé produira une fibre capillaire aplatie ou en forme de ruban, ce qui donnera un cheveu bouclé ou crépu en poussant​.

Entre les deux, un follicule de forme intermédiaire (ovale régulier) donnera lieu à des cheveux ondulés ou simplement souples.

En d’autres termes, plus la « gaine » d’où émerge le cheveu est ronde et symétrique, plus le cheveu aura tendance à pousser droit ; plus elle est ovale ou aplatie, plus le cheveu aura une forme hélicoïdale, avec des boucles ou frisures.
Par ailleurs, l’angle d’implantation joue un rôle : un follicule implanté très obliquement (presque couché sous la peau) fera croître le cheveu en biais, accentuant son caractère frisé ou “crépu”, tandis qu’un follicule bien vertical donnera un cheveu rectiligne qui pointe droit vers le haut​.

D’un point de vue microscopique, tous les cheveux possèdent la même structure de base, composée principalement de kératine (une protéine fibreuse qui constitue l’armature du cheveu) et de mélanine (le pigment qui donne sa couleur au cheveu).

On retrouve également, dans la fibre capillaire, des liaisons disulfure entre chaînes de kératine : ce sont ces ponts chimiques qui confèrent au cheveu sa forme et son ressort, et que l’on cible lors des défrisages chimiques pour les rompre puis les reformer différemment.

Mais ce qui varie d’un individu à l’autre, c’est la répartition de la matière dans la tige du cheveu et l’organisation de celle-ci. Dans un cheveu raide, les cellules fabriquées par le follicule s’agencent de manière parfaitement uniforme autour de l’axe central, ce qui donne une forme régulière et un cheveu lisse​.

En revanche, dans un cheveu frisé, la production de cellules kératiniques est asymétrique : le follicule incurvé produit plus de matière d’un côté que de l’autre, créant une courbure permanente de la fibre​.
Cette « précontrainte interne » dans la fibre, résultat d’une croissance déséquilibrée, explique que le cheveu boucle naturellement​.

En somme, la texture du cheveu relève de la biologie : elle est codée par les gènes (qui déterminent la forme du follicule et l’activité des cellules) et se traduit par une architecture particulière de la fibre capillaire. Il est intéressant de noter que ces caractéristiques capillaires ne correspondent pas exactement aux catégories “ethniques” figées, mais forment un continuum. Certes, on observe statistiquement des tendances selon les origines géographiques : par exemple, les cheveux d’Asie de l’Est ont souvent la section la plus ronde et le diamètre le plus épais, tandis que les cheveux dits caucasiens ont en moyenne une section plus ovale, et les cheveux d’origine africaine une section encore plus aplatie​.

De même, les cheveux asiatiques poussent généralement bien droits (follicule perpendiculaire), alors que les cheveux africains ont souvent un follicule très courbé et poussent en spirale serrée, d’où une chevelure crépue en ressortant​.

Néanmoins, ces distinctions restent des généralités : il existe une immense variété interindividuelle.
On trouve des personnes d’ascendance européenne aux cheveux très frisés, et inversement des personnes d’ascendance africaine aux cheveux relativement ondulés. Cette diversité s’explique par le métissage ancien entre populations, mais aussi par le fait que de nombreux gènes différents entrent en jeu dans la forme du cheveu.

Il n’y a donc pas de déterminisme absolu *« cheveux crépus = personne noire » ou *« cheveux lisses = personne asiatique ».

Un exemple emblématique est celui des habitants des îles Salomon (Océanie) : bien que d’apparence très proche des Mélanésiens à la peau noire, une partie de la population y porte des cheveux blonds naturellement bouclés, en raison d’une variation génétique locale indépendante des gènes européens.

Cela rappelle que la nature réserve des combinaisons infinies. Par ailleurs, au-delà de la forme, la composition du cheveu est identique chez tous les humains. La kératine représente environ 95 % de la fibre capillaire, et il s’agit de la même protéine chez chacun – seulement sa quantité et quelques acides aminés spécifiques varient légèrement d’un groupe à l’autre​.

Tous les cheveux, qu’ils soient raides ou crépus, possèdent ainsi les mêmes “briques” de base (acides aminés, lipides, eau).
Aucune texture n’est biologiquement plus forte ou plus saine qu’une autre : chaque type a ses avantages et contraintes. Par exemple, les cheveux crépus contiennent souvent davantage de cystine (un acide aminé de la kératine) ce qui les rend très résistants en apparence​, mais en pratique leur forme spiralée fait qu’ils peuvent être plus fragiles face aux manipulations (car la torsion de la fibre crée des points de tension).

À l’inverse, un cheveu asiatique bien rond sera très solide en traction et paraîtra brillant, mais pourra avoir du mal à conserver une boucle lors d’une permanente du fait de sa rigidité. Quoi qu’il en soit, aucune culture n’a le monopole du cheveu “normal” : la nature capillaire varie suivant des lois biologiques et génétiques, sans lien avec la valeur ou la modernité d’une civilisation.


Analyse culturelle et sociale

La perception des cheveux et les choix de coiffure évoluent au fil du temps en fonction des normes esthétiques et des contextes sociaux. L’histoire des styles capillaires est riche d’enseignements sur les valeurs et préjugés d’une société. Dans le cas des cheveux très frisés ou crépus, fortement associés aux populations d’origine africaine, on constate une évolution marquante des attitudes, allant de la stigmatisation à une certaine réappropriation identitaire récente.

Néanmoins, des biais persistent dans de nombreuses cultures concernant la texture capillaire, et les préférences esthétiques continuent d’influencer les pratiques de lissage de nos jours. Dans les sociétés occidentales, notamment en Europe et en Amérique du Nord, les canons de beauté dominants depuis l’époque moderne ont longtemps privilégié les cheveux lisses, brillants et faciles à coiffer.

Par conséquent, avoir une chevelure incontrôlable, volumineuse ou très frisée a souvent été mal perçu. Au vingtième siècle, de nombreuses femmes caucasiennes aux cheveux bouclés rapportent avoir subi des pressions implicites pour les lisser.
Par exemple, jusqu’à une date récente, dans beaucoup de salons de coiffure occidentaux, on présumait que les clientes souhaiteraient un brushing lissant pour dompter leurs boucles.

Une blogueuse française aux cheveux naturellement bouclés témoigne avec humour : « les cheveux bouclés, c’est encore assimilé à [quelque chose de] pas sérieux […] peut-être pas assez “occidental” […] il y a une histoire de “norme esthétique” »​.

Ses propos soulignent que même en Europe, les boucles ont pu être considérées comme déviant d’un idéal de sérieux et de sophistication généralement associé à des cheveux raides. Cette norme, évidemment héritée de l’hégémonie culturelle européenne, tend à homogénéiser les apparences en valorisant un type capillaire au détriment des autres​.

Dans les cultures caribéennes et afro-américaines, l’enjeu des cheveux crépus est encore plus fortement chargé de signification sociale. Sous l’influence directe de l’histoire coloniale, il s’est établi pendant des siècles une hiérarchisation implicite où le cheveu crépu occupait le bas de l’échelle.

Comme mentionné précédemment, la période esclavagiste et post-esclavagiste a vu s’imposer l’équation peau noire + cheveux crépus = infériorité, en opposition au modèle peau blanche + cheveux lisses = supériorité.

Au vingtième siècle, dans des pays comme les États-Unis, des pratiques discriminatoires explicites existaient même à l’encontre des cheveux afro.
Par exemple, le « comb test » (test du peigne) était officieusement pratiqué dans certaines communautés ou églises afro-américaines pour évaluer si les cheveux d’une personne noire étaient suffisamment lisses pour être acceptables socialement​.

Ce niveau de pression sociale explique pourquoi le défrisage est devenu un réflexe quasi automatique pour des millions de femmes noires souhaitant réussir professionnellement ou être simplement perçues comme présentables.

Se lisser les cheveux était une manière d’éviter la stigmatisation, voire la discrimination directe.

La sociologue martiniquaise Juliette Sméralda a qualifié ce phénomène d’aliénation esthétique, où « il a été proposé [aux femmes noires] une esthétique qui n'était pas la leur, notamment la peau claire et le cheveu lisse », les poussant à adopter ces standards au détriment de leur identité naturelle​.

Cependant, à partir des années 1960, un changement de paradigme est survenu dans la perception des cheveux afro. Dans le prolongement des luttes pour les droits civiques et des mouvements de fierté noire (Black Pride) aux États-Unis, la coiffure afro naturelle (le fameux “Afro”) a été popularisée comme un symbole d’affirmation identitaire.
Des militants et artistes noirs ont affiché avec fierté leurs cheveux crépus non défrisés, renversant le stigmate en signe de beauté et de résistance culturelle. « À partir des années 1960 […] émergent des pratiques visant à valoriser les cheveux afro », note ainsi une analyse historique, en parallèle des mouvements d’affirmation politique et culturelle des Afro-descendants​.

Ce renouveau a progressivement gagné les Caraïbes, l’Europe et l’Afrique, où l’on a vu, à partir de la fin du vingtième siècle, de plus en plus de personnes renoncer au défrisage pour revenir au cheveu naturel. Des termes comme “nappy” (contraction de natural et happy), apparus dans les années 2000, illustrent cette réappropriation joyeuse du cheveu crépu.

En Martinique ou en Guadeloupe par exemple, de jeunes femmes créent aujourd’hui des blogs, des salons spécialisés et des communautés en ligne pour échanger des conseils sur l’entretien du cheveu naturel et s’encourager mutuellement à assumer leurs textures d’origine​.

Ce mouvement de réhabilitation s’accompagne d’une sensibilisation aux dangers sanitaires des produits défrisants (souvent agressifs pour le cuir chevelu et potentiellement toxiques), ce qui renforce la remise en cause du dogme du cheveu lisse à tout prix.

Malgré ces évolutions positives vers davantage d’acceptation, les normes esthétiques globales continuent d’exercer une influence.

La mondialisation et la diffusion planétaire de l’image véhiculée par l’industrie de la mode et de la beauté tendent à promouvoir un certain standard capillaire. Dans la publicité, le cinéma, les réseaux sociaux, on voit majoritairement des chevelures longues, brillantes et fluides – qui correspondent plus souvent à des cheveux lisses ou légèrement ondulés qu’à des cheveux crépus très volumineux.

Cette pression subtile s’exerce donc sur toutes les communautés.

Ainsi, même si une femme noire décide d’arrêter les défrisages pour embrasser son afro, elle peut se heurter à des préjugés persistants dans le monde du travail ou les institutions ou si une femme décide de continuer à se défriser elle se heurte au mépris et au rejet.

De fait, les discriminations basées sur l’apparence des cheveux ne sont pas que du domaine du passé.

Elles commencent juste à être formellement reconnues et combattues.

En 2024 en France, une loi a été adoptée pour sanctionner la « discrimination capillaire », en l’ajoutant explicitement dans la liste des motifs de discrimination prohibés au même titre que l’origine, le sexe ou la religion.
Ce texte vise les discriminations fondées sur « la coupe, la couleur, la longueur ou la texture des cheveux »​.

C’est une avancée notable qui fait suite à de nombreux témoignages de personnes – en majorité des femmes noires – ayant subi moqueries, brimades ou obstacles professionnels du fait de leurs cheveux naturels.
Désormais, un employeur en France ne pourra plus exiger implicitement qu’une employée se lisse les cheveux pour avoir l’air “professionnelle”, sans risquer des poursuites.

Notons enfin que l’Asie, quoique moins souvent citée dans ce débat, n’est pas exempte de normes capillaires et de leurs conséquences sociales.
Au Japon par exemple, jusqu’il y a peu, les écoles imposaient à tous les élèves d’avoir les cheveux noirs et raides – allant jusqu’à contraindre les rares élèves aux cheveux naturellement bouclés ou châtains à les teindre et les lisser pour rentrer dans le rang.
Cela montre que la pression vers une uniformisation capillaire peut exister même dans des populations où le cheveu crépu est statistiquement absent, ciblant alors toute différence jugée hors-norme (couleur plus claire, boucle légère, etc.).

En Inde ou en Iran, les cheveux épais et ondulés étant courants, beaucoup de femmes des milieux aisés n’hésitent pas à faire régulièrement des brushings ou lissages brésiliens pour afficher une chevelure parfaitement lisse, perçue là aussi comme un signe de raffinement moderne.
À l’inverse, certaines jeunes femmes est-asiatiques, ayant connu toute leur vie des cheveux raides, aspirent à plus de fantaisie et vont volontiers faire une permanente pour obtenir des boucles – prouvant encore que les désirs capillaires sont souvent un jeu de miroir de l’Autre, chacun fantasmant sur la texture qu’il n’a pas. En somme, le regard porté sur les cheveux est intimement lié aux constructions sociales de la beauté et de l’identité.

Ces constructions peuvent évoluer : ce qui était hier “inacceptable” (par exemple afficher ses cheveux crépus au naturel en entretien d’embauche) tend doucement à devenir normal grâce aux combats culturels et juridiques récents.

Néanmoins, les préférences inculquées par des siècles de conditionnement restent tenaces.
Le réflexe du défrisage chez les uns, du brushing quotidien chez les autres, montre que l’on cherche souvent à se conformer à un idéal plutôt qu’à accepter pleinement la nature telle qu’elle est.


Conclusion

Au terme de cette enquête à la croisée de l’histoire, de la science et des faits de société, une idée centrale émerge : la diversité capillaire est une richesse universelle, indissociable du métissage humain, et aucune texture de cheveu ne devrait être considérée comme supérieure à une autre.

Le métissage dépasse largement la question de la couleur de peau – il englobe aussi la diversité des traits, dont les cheveux font partie.

Partout dans le monde, les êtres humains ont expérimenté des variations infinies de textures capillaires, et partout ils ont également cherché, à un moment ou un autre, à modifier ces textures pour correspondre à des normes en mutation.

Le défrisage et les techniques de lissage, loin d’être des pratiques « ethniques » restreintes, se révèlent ainsi être un phénomène transversal : de l’Égypte antique aux salons high-tech de Tokyo, des plantations antillaises aux studios de mode parisiens, l’envie de lisser des cheveux jugés trop rebelles a traversé les époques et les cultures.

Pour autant, les avancées scientifiques nous rappellent que la nature du cheveu est une donnée biologique : un simple trait hérité de nos ancêtres, fruit de l’évolution et du mélange, sans lien avec nos capacités ou notre valeur.

Un cheveu crépu naît d’un follicule incurvé, un cheveu lisse d’un follicule droit – ce sont là des variantes naturelles, comme la couleur des yeux ou la forme du nez.
S’il est légitime de jouer avec son apparence et d’adopter la coiffure de son choix, il importe de déconstruire l’idée qu’une texture vaudrait mieux qu’une autre.

Accepter la diversité capillaire, c’est au fond prolonger l’acceptation de la diversité humaine tout court.

À l’heure où de plus en plus de voix s’élèvent contre le colorisme et le texturisme (la discrimination fondée sur la texture de cheveux), célébrer toutes les chevelures est un pas de plus vers une société inclusive.

Cheveux crépus, bouclés, ondulés ou raides : chacun a sa beauté propre et son histoire.

En valorisant cette pluralité et en comprenant qu’elle est le reflet du métissage universel de l’humanité, on contribue à gommer les anciennes hiérarchies artificielles. La science confirme qu’aucune mèche de cheveux n’est “juste culturelle” : elle est le produit de notre biologie, commune à tous, et de ces mille hasards du patrimoine génétique qui font de chaque individu un être unique.

Apprenons donc à voir dans chaque texture capillaire une expression de la diversité naturelle, et non un motif de division.

En libérant les cheveux de la charge des stéréotypes, on permet à chacun de se sentir fier de son héritage et libre de ses choix esthétiques – qu’il souhaite arborer fièrement sa crinière naturelle ou la transformer par art et jeu. L’essentiel est que cette liberté soit dénuée de complexe et de jugement de valeur. En fin de compte, la réconciliation avec nos cheveux – tels qu’ils sont ou tels que nous choisissons de les porter – symbolise une réconciliation plus large avec notre identité métissée et plurielle. C’est en reconnaissant que le métissage est notre condition universelle, dans toute sa profondeur (bien au-delà de la peau), que nous pourrons vraiment dépasser les préjugés superficiels. Accepter la diversité capillaire, c’est affirmer que toutes les têtes sont bien faites et que la beauté humaine réside dans son infinie variation.


Sources : Les informations présentées dans ce rapport s’appuient sur des références variées, incluant des travaux scientifiques sur la génétique des populations et la biologie du cheveu, des analyses historiques et sociologiques, ainsi que des témoignages culturels. Parmi les sources consultées figurent notamment le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris​ MNHN.FR, l’encyclopédie Wikipédia​ FR.WIKIPEDIA.ORG, des articles spécialisés sur la structure ethno-capillaire​ SILKBIOTIC.COM, des médias en ligne traitant des techniques de lissage​ LINFO.RE et des blogs ou tribunes éclairant les perceptions sociales des cheveux​
UNECHICFILLE.BLOGSPOT.COM



Ces références convergent vers la même conclusion : le métissage et la diversité capillaire vont de pair, et comprendre leur universalité aide à promouvoir un regard plus éclairé et bienveillant sur les différences qui nous unissent.

Nayunbae: Cheveux et identité : la réconciliation avec soi-même: Un regard approfondi sur le métissage capillaire, révélant que la texture des cheveux n’est ni une question de couleur, ni un marqueur de valeur, mais une simple expression de la diversité humaine et de nos choix esthétiques.

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